Dans la matinée du 10 août 1991, des centaines de milliers de personnes se mirent en route en direction du palais de Iavoloha. L’objectif était de mettre la pression sur Ratsiraka afin qu’il remette les pleins pouvoirs à Zafy Albert et consorts. La marche était l’aboutissement de longues semaines de harangues démagogiques d’Andriamanjato Richard, appuyé pour la circonstance de Désiré Rakotoarijaona qui était encore AREMA quelques semaines auparavant ainsi que d’autres, plus opportunistes que convaincus.
Cette marche se transforma en massacre à quelques kilomètres du palais présidentiel. Sur ordre de Didier Ratsiraka, la garde présidentielle (le RESEP), avait ouvert le feu sur les manifestants. Cette garde prétorienne était appuyée dans sa macabre besogne par des éléments de la gendarmerie et de l’hélicoptère présidentielle Mi-8. Monja Jaona avait mis à la disposition de Ratsiraka une milice d’Antandroy pour aider ses militaires. Des éléments de la DGID avec leur directeur Henri Raharijaona étaient aussi sur les lieux avec la garde présidentielle.
La troupe de Ratsiraka utilisa une stratégie de guerre proprement dite pour mater les manifestants: embuscade puis tirs à balle réelles, jets de grenades de la part des militaires et aussi à partir des frondes de la milice Antandroy, pièges de mines anti-personnelles dans les rizières, bombardement à partir de l’hélicoptère MI-8. Il est impossible de chiffrer le nombre exact des victimes. Les autorités n’ont jamais relevé le nombre exact. Mais ce qui est sur et certain c’est qu’il y avait de nombreux morts et blessés.
Genèse
Des mouvements de contestations ont commencé immédiatement après les élections présidentielles de 1989.
En effet Manandafy Rakotonirina, alors candidat du MFM, refusait de reconnaitre la victoire de Ratsiraka. Il organisait alors des manifestation avec l’appui d’un groupement créé pour la circonstance baptisé 4M, les noms ou prénoms des principaux dirigeants commençant par le lettre M: Manandafy Rakotonirina (MFM), Marojama Razanabahiny (Vonjy Iray tsy Mivaky) entre-autres.
Manandafy, bénéficiait de l’appui d’une grande partie de l’électorat. La structure politique de son parti le MFM pouvait toucher l’électorat jusqu’aux fins fonds de la brousse grâce à ses militants issus du milieu de l’enseignement. Manandafy s’estimait alors capable de rivaliser avec Ratsiraka et l’AREMA. Ces derniers bénéficiaient directement de la complicité de l’administration (qui prétextait stupidement avoir agi sous la pression). D’où la forte suspicion de fraude quant à la victoire officielle de Ratsiraka, proclamée officiellement par la Haute Cour Constitutionnelle. Il y avait aussi la même suspicion de fraude aussi lors des présidentielles de 1982 face à Monja Jaona.
Lors de la messe célébrée par Jean-Paul II à Antsonjombe, si Manandafy et ses associés avaient été applaudis, Ratsiraka était littéralement conspué.
On pourrait citer d’autres anecdotes de la sorte. On sentait en ces moments-là que le vent a tourné pour celui que l’institution fantoche qui faisait office de Parlement a fait amiral, alors que son dernier grade connu était celui de capitaine de frégate.
Entre 1989 et 1991, les opposants, sous la houlette de Manandafy et consorts affinèrent leur stratégie en vue de parvenir à renverser le régime Ratsiraka. Ils essayèrent de rallier à leur cause les autres partis et regroupements à caractère politique. Une véritable plateforme d’opposition prenait forme. Mais cette opposition avait du mal à assoir sa crédibilité vis-à-vis de la population, surtout par rapport aux modérés et ceux qui se prétendent être des intellectuels.
Un beau jour, Andriamanjato Richard décidait de se rallier à ce mouvement à la suite du schisme de l’AKFM-KDRSM. Du coup, comme un coup de baguette magique, la plateforme d’opposition anti-Ratsiraka, se voyait crédible aux yeux de la branche modérée de la population et surtout de la grande majorité de la population Antananarivienne, qui jusque-là suivait les évènements, mais en se tenant à une certaine distance. A partir de juin 1991, la manifestation se déplaçait du stade des 67 Ha (COUM) à la place du 13 mai. Grace aux speeches bien articulés d’Andriamanjato, le nombre des manifestants gonflait au fil des jours.
Vers une véritable plateforme d’opposition
Les mouvements de contestations commencèrent immédiatement après les élections présidentielles de mars 1989. En effet, les candidats malheureux Manandafy Rakotonirina, Razanabahiny Marojama, Monja Jaona estimaient que la victoire de Ratsiraka était due aux fraudes en masse. Les opposants se regroupèrent pour créer un front de contestation. Ils proposèrent comme solution pour sortir Madagascar de la crise politique l’instauration d’un “Gouvernement de Transition vers la Démocratie” (GVTD).
Cependant les contestataires décidèrent d’interrompre momentanément leurs mouvements pendant la visite du Pape Jean-Paul II à Madagascar à l’occasion de la béatification de Victoire Rasoamanarivo fin avril 1989.
La véritable plateforme d’opposition prit réellement forme en mai 1990.
A ce moment-là les manifestations qui se déroulaient habituellement au stade des COUM aux 67Ha à Antananarivo virent la participation active des groupuscules politiques émergeants. Ceux-ci profitaient des nouvelles dispositions constitutionnelles de 1989 qui permettaient la libre pratique des activités politiques. On a assisté aussi au retour sur scène des politiciens “very seza” de la première république comme Ratafika, Jean-Jacques Rakotoniaina (PSD) …
Le 1er mai 1990, la plateforme d’opposition, officiellement dénommée: “Concertation Nationale pour une Nouvelle Constitution” est née. Elle reçut l’adhésion des différents groupements politiques qui s’identifiaient comme anti-Ratsirakistes, des syndicats, du FFKM – Conseil des Église Chrétiennes (Église Catholique Romaine, FJKM, FLM, l’église Anglicane).
Le FFKM organisa deux réunions en aout et décembre 1990 qu’il a baptisées “Concertations Nationales”. Celles-ci concernaient entre-autres les thèmes suivants: légalité, légitimité, libéralisation politique et économique en aout et décembre 1990. Le Pouvoir en place brillait par son absence lors des assises.
Herivelona
La plateforme d’opposition devint “Conseil des Forces Vives” (Herivelona) à la fin de l’année 1990. Les Herivelona elirent Zafy Albert comme leur Chef à la suite d’une réunion au FALDA Antanimena.
Le mouvement Herivelona prit une nouvelle direction à partir du 1er mai 1991. Les manifestations se propagèrent dans les autres grandes villes de Madagascar. Les manifestants réclamèrent officiellement la mise sur place d’un gouvernement de transition, le GVTD proposé par l’équipe Manandafy.
Encouragés par l’adhésion de la population, surtout celle de la capitale, grâce à la présence d’Andriamanjato Richard, les opposants se permirent de sommer le régime à accepter le processus de mise en place du GVTD, de mettre fin à la Constitution Révolutionnaire Socialiste de 1975 et de faire des élections anticipées (le troisième mandat de Didier Ratsiraka commencé en 1989 devait se terminer en 1996). On était au début de juin 1991.
A partir de ce moment, le mot d’ordre était: “Désobéissance Civile”. Ainsi, la population estudiantine (primaire, secondaire, universitaire) se mettait en grève partout dans l’Ile. Les salariés, même ceux des compagnies privées se mettaient en grève. Les fonctionnaires de tous les ministères en revanche mettaient du temps à rejoindre le mouvement. Les ministères étaient encore sous contrôle de l’équipe au pouvoir. Les principaux responsables SG, directeurs, chefs de service sont issus de l’AREMA en général sinon des partis politiques pro-Ratsiraka comme l’AKFM-KDRSM de Gisèle Rabesahala.
Finalement, toute la population active se mit en grève illimitée. Même les fonctionnaires de la Radio et de la Télévision Nationale vinrent grossir les rangs des grévistes. Et cela bien que le pouvoir en place exerçât un contrôle et verrouillage total de ces médias.
Pour la première fois dans les annales de l’histoire de Madagascar, la Radio et la Télévision Nationales n’émettaient plus leurs émissions quotidiennes. En conséquence le ministère de l’Information avait fait recours aux services de personnel non qualifié issu des différentes branches de l’AREMA pour maintenir l’antenne.
NDLR. C’est ainsi qu’on entendait constamment Ramafadrahona et ses amis à l’antenne de la Radio (la RNM). Tahitsy Gilbert à la télévision se contentait de balancer des films entrecoupés de lectures des textes préparés par ses patrons en guise de journaux télévisés à la Télévision Nationale (la TVM), faute de pouvoir faire des émissions valables.
Premiers affrontements
L’équipe Ratsiraka avait l’avantage d’avoir le contrôle des seuls organes de média capable d’assurer une couverture nationale pour effectuer la contre-propagande. Ainsi, la RNM et la TVM déformaient systématiquement toutes les informations qu’elles diffusaient pour minimiser l’importance du mouvement de l’opposition. Elles le faisaient passer pour de simples mouvements de déstabilisation. Par un bel après-midi, les manifestants décidèrent d’entrer de force dans les locaux de la Radio Nationale à Anosy, pendant que Ramafadrahona et ses compères, fidèles à leurs convictions, continuaient leurs émissions de dénigrement, conformément aux directives de leurs patrons.
Un groupe de gendarmes essaya de stopper la foule. Une violente échauffourée s’en suivit. Ne pouvant plus contenir la foule en colère, les gendarmes battirent en retraite quelques minutes plus tard. Les manifestants les poursuivirent jusque dans les rues derrières les bâtiments du tribunal, abandonnant à son sort un officier blessé. Il a fallu l’intervention d’un deuxième groupe composé de militaires (bérets rouges), bien armés de Kalachnikovs, cartouchières pleines de balles réelles, bien décidés à faire usage de leurs armes, pour que les manifestants se décidèrent de faire machine arrière. Ramafadrahona et consorts ont évité de justesse de subir la colère des manifestants. C’étaient les premiers affrontements dans le cadre de ce mouvement.
Depuis cet épisode, on a transféré les studios de la RNM et de la TVM dans l’enceinte du palais d’Iavoloha.
Gouvernement insurectionnel
Conscients de leur avantage, les Herivelona décidèrent de créer un gouvernement parallèle sur la Place du 13 mai. Compte-tenu du fait que Ratsiraka avait encore le contrôle des forces armées, les Herivelona nommèrent le général Jean Rakotoharison (“Voaibe”) chef d’état et Zafy Albert premier ministre. Ils ont choisi des personnes issues des différents groupements politiques affiliés au mouvement pour compléter ce gouvernement insurrectionnel. Il s’agissait entre-autres de: Marson Évariste (Finances), Bao Andriamanjato (travaux Publics), Jean-Jacques Rakotoniaina (Industrie et Mines), Rakotovao Martin.
Les manifestants accompagnaient leur “ministres” pour prendre possession des ministères un à un. Si les premières prises de ministère (Finances puis Mines) se passaient sans trop de problème, celle des Travaux Publics à Anosy ne se déroulait pas comme prévu. Le colonel Tsaranazy Jean Émile, le ministre des TP de Ratsiraka avait kidnappé Bao Andriamanjato au vu et au su de tout le monde et de son mari le pasteur. Elle ne l’a jamais avoué publiquement mais il était évident qu’elle avait été maltraitée par Tsaranazy et sa clique et a probablement subi de violences physiques.
Impasse
Le pays était dans une situation d’impasse. Le nouveau premier ministre Guy Willy Razanamasy faisait des efforts surhumains en termes de diplomatie et de négociation pour dénouer la situation. Guy Willy Razanamasy était un ami personnel de Ratsiraka. En plus il jouissait d’une grande notoriété auprès de la population d’Antananarivo ainsi que de toute la classe politique. Il aimait se présenter en tant que “Lahimatoan’Iarivo” (ainé d’Antananarivo).
Entre-temps, il y avait une discordance de vision entre les leaders du 13 mai:
- Le premier groupe s’alliant aux idées démagogues d’Andriamanjato voulut que Ratsiraka démissionne et donne les pleins pouvoirs à leurs leaders.
- Le second groupe mené par Manandafy Rakotonirina et Germain Rakotonirainy proposait plutôt pour une approche légaliste. Celle-ci consistait en une transition avec Ratsiraka comme président mais avec des pouvoirs réduits. Un premier ministre avec des pouvoirs élargis dirigerait alors un gouvernement proposé par l’opposition.
Les points de vue des deux parties étant inconciliables, le mouvement se scinda en deux. Manandafy et ses alliés créèrent le mouvement Herivelona Rabearivelo.
NDLR: La suite des choses sembla donner raison à Manandafy et consorts. En effet la solution de sortie de crise agréée était assez similaire à ses propositions sur de nombreux points. C’est la Convention du 31 octobre (Panorama).
Les Herivelona Rabearivelo tentèrent de négocier avec Ratsiraka et Razanamasy. Les Herivelona 13 mai d’Andriamanjato et Zafy le considérèrent comme une trahison.
Mais acculés dos au mur, les Herivelona 13 mai tentèrent finalement une négociation avec Ratsiraka afin que celui-ci leur remette le pouvoir. Une délégation dirigée par Andriamanjato et Zafy fut envoyée à Iavoloha à cet effet. Mais Ratsiraka leur opposa une fin de non recevoir en faisant valoir les argumentations suivantes:
- Il est président élu dont le mandat est en cours;
- Il a accepté de dissoudre le gouvernement et remplacer son premier ministre Victor Ramahatra par Guy Willy Razanamasy;
- Il a accepté de procéder à des élections anticipées. Andriamanjato et consorts étaient pris au piège par leurs propres discours démagogiques et se sont fait hués par leurs propres partisans sur la place du 13 mai.
Baroud d’honneur
Ils décidèrent alors d’effectuer un baroud d’honneur en amenant leurs partisans à Iavoloha afin de demander à Ratsiraka de leur remettre le pouvoir. La date choisie était le samedi 10 aout 1991.
Sachant pertinemment que Ratsiraka fort de sa légitimité ne cèdera pas, Razanamasy essaya en vain de dissuader Richard Andriamanjato et Zafy Albert de renoncer à la marche vers Iavoloha. Mais ce fut peine perdue. La marche allait se faire comme prévu.
Ce qui devait arriver arriva. La garde prétorienne de Ratsiraka et les gendarme tirent sur les manifestants. Il y eut morts et blessés. Combien? Nul ne le saura jamais probablement. Les autorités concernées n’ont jamais révélé le bilan. Ce qui a laissé place à des supputations les plus folles.
Les deux camps, celui des Herivelona et celui de Ratsiraka se rejetèrent la responsabilité par rapport à cet évènement sanglant. Le mouvement de contestation se durcit. Ratsiraka devient de plus en plus isolé mais tint bon.
Sortie de crise
Ratsiraka et les opposants finirent par signer un accord de sortie de crise le 31 octobre 1991. Une convention a été signée à Antananarivo entre les parties suivantes:
- Guy Willy Razanamasy (premier ministre),
- Les Herivelona 13 mai (de Zafy),
- Les Herivelona Rabearivelo (de Manandafy),
- Le FFKM,
- Le MMSM (Pro-Ratsiraka).
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