De Gaulle: donner l’indépendance mais garder le contrôle total
Fin des années 50. On est en pleine période de la décolonisation. Le Général de Gaulle revient au pouvoir en France en 1958. De Gaulle est conscient que la France doit accepter la nouvelle réalité: les colonies vont accéder à l’indépendance. Cependant il ambitionne que la France doit être une “grande puissance” au même titre que les USA, l’URSS, la Grande Bretagne. Pour cela la France devrait s’assurer d’avoir un approvisionnement énergétique stable afin de répondre aux besoins énergétiques d’une économie dont certains secteurs comme l’automobile et le secteur aérien qui sont en pleine croissance. A cette période, une règle non-écrite voulait que la France soit le gendarme de l’Afrique avec la bénédiction des Etats-Unis, afin de contrer l’influence du Bloc Soviétique et de ses alliés communistes sur le continent.
ELF est la solution
De Gaulle élabore une stratégie qui vise à assurer l’approvisionnement en pétrole de la France, à garder le contrôle total des anciennes colonies après leur avoir donné officiellement leur indépendance. C’est la Françafrique. Certains auteurs vont même jusqu’à affirmer que la Françafrique aurait servi aussi à assurer à la France certains avantages comme des votes assurés à l’ONU, contrer l’influence des anglo-saxons sur le continent.
Il nomme alors comme conseiller en stratégie énergétique Pierre Guillaumat déjà connu comme étant l’un des principaux artisans de la bombe atomique française. Celui-ci va créer la compagnie pétrolière ELF qui va détenir le quasi-monopole de toute l’exploitation pétrolière française en Afrique Noire. L’indépendance de l’Algérie en 1962 compromet l’approvisionnement de pétrole de la France dont les principales sources sont les gisements pétrolifères sahariens sur le territoire algérien.
Entretemps d’importants gisements pétrolifères ont été découvertes dans le golfe de Guinée. L’un des plus importants se trouve aux larges des côtes du Gabon. Ce gisement est la solution pour remédier aux manques à gagner issu de la perte du pétrole algérien pour la France. Pour assurer le contrôle total de ces nouveaux gisements, de Gaulle se doit de s’assurer d’avoir un gouvernement “docile” en place dans ces pays.
ELF comme bras armé
Pour parvenir à ses fins de Gaulle a mis en œuvre la stratégie ci-après.
Pour parvenir à ses fins de Gaulle a mis en œuvre la stratégie ci-après.
- Il impose à Pierre Guillaumat que la Compagnie ELF agisse comme un “bras armé” de la France en mettant à la disposition du pouvoir Français une partie de ses profits faramineux afin de financer des opérations secrètes (déstabilisation, coup d’état, mercenaires …).
- Il nomme Jacques Foccart, l’un des fidèles parmi les fidèles de son entourage comme Secrétaire General de l’Élysée chargé des Affaires Africaines et Malgaches plus connu sous le sobriquet de “Monsieur Afrique”, à la tête de la fameuse “Cellule Africaine de l’Élysée”. La principale mission de Foccart étant d’imposer aux présidents africains des conseillers, de conseiller l’Élysée pour la nomination des ambassadeurs auprès de ces pays. Le principal objectif étant d’avoir un canal direct entre le président africain et l’Élysée sans être entravé par les institutions que ce soit du côté français que du côté africain. Comme cela le président africain reçoit directement ses directives de l’Élysée transmis par Monsieur Afrique relayé par le conseiller français attitré.
- Faire élire des présidents africains, amis ou qui collaborent comme entre-autres Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Omar Bongo. NDLR. Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny étaient tous les deux ministres dans des gouvernements français avant 1960.
Le contrôle des gouvernements africains s’opère de diverses façons: protection du président docile afin de le garder à l’abri de coups d’états, renversement d’un président jugé gênant par action directe (par l’envoi de mercenaires ou l’armée française) ou en appuyant des opposants, manœuvre de déstabilisation à caractère politique (armement de milices d’opposants …) ou économique. La gestion de ces opérations relève de la Cellule Afrique.
Les présidents africains dociles reçoivent des traitements de faveurs tandis que ceux qui refusent de collaborer sont renversés. Houphouët Boigny a pu se faire construire une basilique à Yamoussoukro en plus de sa fortune fruit des détournements de la filière cacao. (Voir la vidéo “Où sont passés les milliards d’Houphouët Boigny ?”)
Le General de Gaulle était-il au courant des détails de ces opérations? Les indiscrétions disent qu’il utilise un langage codé pour appuyer ou refuser celles-ci. Par exemple quand il ne dit pas “non”, cela veut dire qu’il appuie. En revanche, officiellement il n’a aucun lien avec l’opération en cas d’échec.
Les accords de défense
Le système a prévu aussi un autre instrument très efficace: les accords de défense. Ceux-ci consistent en l’assistance militaire français (y compris la formation et appui logistique divers). En contrepartie, les dirigeant africains doivent se soumettre à des clauses dites “clauses secrètes”. Celles-ci consistent à privilégier au maximum les entreprises françaises et à leur octroyer une priorité pour l’exploitation de minerais “stratégiques” comme l’or, uranium et autres produits d’intérêt.
La France après de Gaulle: changement dans la continuité
Beaucoup pensaient que les changements de régime après le départ des gaullistes allaient changer la politique française en Afrique. A chaque fois les discours des nouveaux responsables, notamment ceux de la coopération semblent indiquer que le nouveau régime va prendre une direction différente. Mais très vite on s’est rendu compte que la volonté de changement n’est que d’apparence. Et la volonté de contrôler et mettre sous la coupe les anciennes colonies demeurent inchangées.
Valery Giscard d’Estaing
Valery Giscard d’Estaing arrive au pouvoir en 1974 mettant un terme au règne gaulliste. Jacques Foccart est limogé.
Mais le nouveau président nomme René Journiac pour le remplacer. Celui-ci n’est autre que le propre adjoint de Foccart. René Journiac meurt dans un accident d’avion au Gabon le 6 février 1980. Valery Giscard d’Estaing nomme Martin Kirsch, un autre proche collaborateur de Foccart pour le remplacer, toujours sur recommandation de ce dernier.
François Mitterrand
Le socialiste François Mitterrand arrive au pouvoir en 1981. Le discours du nouveau ministre de la Coopération Jean-Pierre Cot séduit. Il semble indiquer une nouvelle vision de la coopération France et Afrique et une volonté de rompre avec l’approche des Gaullistes. Des actions concrètes de Jean-Pierre Cot ont été accueillies favorablement. Citons en exemple le limogeage de l’ambassadeur français au Gabon Maurice Robert qui est perçu comme un barbouze et homme de main de ELF. Mais très vite on lui rappelle que les intérêts de la France priment sur toute autre considération même si on est un gouvernement socialiste. Il a dû quitter le gouvernement par la petite porte en 1982.
Ensuite Mitterrand nomme Guy Penne, un franc-maçon comme nouveau Monsieur Afrique. Ce choix n’est pas anodin puisque beaucoup parmi les chefs d’état africains sont membres de la franc-maçonnerie. De plus Guy Penne entretient de solides relations avec Foccart. Mitterrand dispose ainsi d’un nouvel outil qui s’ajoute au réseau Foccart pour mieux pénétrer le réseau des chefs d’état africains. Cela lui permet de garder l’accès direct à ces derniers pour mieux les contrôler et de leur venir en aide au besoin.
Pierre Marion est nommé chef des services secrets français. Ses tentatives de faire le ménage dans le réseau Foccart et la nébuleuse ELF sont restés vains.
L’effondrement du Bloc Soviétique
Les Américains et les Chinois s’intéressent à l’Afrique
La donne change après l’effondrement du Bloc Soviétique.
Les Américains et les Chinois démontrent de plus en plus leur intérêt pour le marché africain à la suite de l’effondrement du Bloc Soviétique début 1990. La France qui n’est plus le gendarme de l’Afrique doit faire face à ces nouveaux concurrents.
Le nouveau courant pluraliste politique en Afrique met à mal les régimes dictatoriaux “dociles”. François Mitterrand doit alors avoir recours à des solutions extrêmes voire des interventions militaires directes afin de les maintenir en place ou de les substituer par une autre régime docile. Dans ce cas, le nouveau régime docile doit accepter comme condition que la France puisse toujours accéder aux gisements pétroliers par l’intermédiaire de ELF.
ELF pour maintenir les dociles au pouvoir
1990. Omar Bongo a failli être renversé. François Mitterrand envoie l’armée française au Gabon. Par la suite Omar Bongo est parvenu à maitriser ses opposants.
Le stratagème de France/ELF n’a pas fonctionné au Congo-Brazzaville.
ELF octroie une aide financière massive au Président Eduardo Dos Santos de l’Angola pour l’équipement de son armée afin que celui-ci puisse avoir le dessus sur ses opposants armés. En contrepartie, ELF obtient la concession de l’exploitation des énormes gisements Girassol et Dalia aux larges des cotes angolaises. De plus, elle a obtenu que l’armée de Dos Santos aide Denis Sassou-Nguesso à renverser le traitre Pascal Lissouba qui n’a pas respecté le contrat et revenir au pouvoir au Congo (1997).
Mai 1995 Jacques Chirac est élu président de la République. Il rappelle immédiatement Jacques Foccart aux affaires. Celui-ci décède en 1997. Pour le remplacer, Chirac fait appel à Robert Bourgi. C’est un avocat d’affaire conseiller de Mobutu (Congo Kinshasa), Bongo (Gabon), Sassou Ngesso (Congo Brazzaville), Gbagbo (Cote d’Ivoire).
Super Bongo commande!
Mais les dictateurs africains ont compris que le vent a tourné depuis l’effondrement du Bloc Soviétique et que ce sont eux qui ont les bonnes cartes en main dorénavant. Bourgi agit alors plus comme messager des dictateurs africains auprès de l’Élysée dorénavant plutôt que de transmetteur d’ordre comme le faisaient ses prédécesseurs.
Omar Bongo se permet de s’octroyer un rôle lui permettant par exemple d’avaliser toute nomination des ambassadeurs français au Gabon, de recommander la nomination de ministres du gouvernement français ou même d’exiger le limogeage de ministres français qui ne lui plaisent pas. Après tout c’est ELF Gabon qui est le principal pourvoyeur de fonds. Par exemple Omar Bongo exige de Sarkozy qu’il limoge Jean-Marie Bockel secrétaire d’état à la coopération à cause d’un discours qui ne lui a pas plu. Chose faite immédiatement. Il a été remplacé par Alain Joyandet un franc-maçon. Cependant, il lui a été demandé à ce nouveau ministre de la Coopération d’aller faire un stage d’initiation chez Omar Bongo avant d’entamer son mandat.
Un certain Nicolas Sarkozy
Malgré tout, les grandes entreprises françaises comme Bouygues et Bolloré ont trouvé le moyen d’entretenir des liens directs avec les chefs d’état africains en vue de décrocher des marchés intéressants. Mais elles ont besoin de soutien émanant de la haute sphère pour concrétiser l’obtention des marchés. C’était le rôle de Nicolas Sarkozy.
Sarkozy comme médiateur des multinationales françaises
Nicolas Sarkozy gagne les élections présidentielles de 2007 grâce à Robert Bourgi et aussi grâce aux recommandations que ce dernier a effectué en sa faveur auprès des chefs d’états africains. Comme par hasard, l’un des premiers gestes de Sarkozy était une remise de dettes de 20% en faveur du Gabon.
Devant le nouveau rapport de force et compte-tenu de la concurrence féroce que livrent les Américains et les Chinois en Afrique, Nicolas Sarkozy se doit alors d’endosser un nouveau rôle: celui de médiateur auprès des dirigeants africains au profit des multinationales françaises comme Bolloré, Bouygues, Total et Areva.
TOTAL prend le relais
Ce système baptisé Françafrique fonctionnait efficacement grâce aux mécanismes bien huilés, avec des moyens pratiquement illimités supportés par les profits faramineux de ELF et la complicité des chefs d’états africains. Ces chefs d’état complices livrent leurs propres pays au pillage auquel les entreprises françaises s’adonnent sans aucun état d’âme. Il fonctionnait dans l’ombre sans être inquiété jusqu’au moment où la Justice Française l’a mis au grand jour lors de l’instruction de ce qu’on appelait “L’affaire ELF” en 1994.
La haute sphère panique devant ce que découvre la juge Eva Joly en charge de l’instruction et les déballages afférents. La juge évoque l’existence de “pompes dérivatives pour alimenter des fonds secrets” au sein de la pétrolière ELF. Il s’agit entre-autres: des commissions versées pour tout nouveau contrat, des retro commissions (remboursement celui qui a avancé la commission), de l’argent versé directement aux chefs d’état africains. Eva Joly évoque même l’existence de “centaines de millions de francs français en liquide par porteurs arrivés de Suisse, d’autres flux passant par dirigeants pays africains”. Mais ces derniers demeurent intouchables étant donné leurs statuts de chef d’état en exercice. La majorité des fonds occultes proviendrait de ELF Gabon.
Les dirigeants français tentent de limiter les dégâts par la vente de ELF au profit de TOTAL en mars 2000. ELF disparait.
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